MARTIN DUPONT OU LE CHAINON MANQUANT DE LA COLD WAVE

(Tournée espagnole organisée par ALL WAVES Promotions)

Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion d’interviewer Corpus Delicti, quelques instants avant leur concert à Paris. La bonne énergie et la simplicité de ce groupe m’ont incité à rester en contact avec Sébastien Kuta, leur chanteur, qui m’a invité à son prochain concert à Marseille avec un autre groupe local. Et dans une série d’heureux événements, je suis tombée sur un nom qui allait changer à jamais ma perception d’un classique : Martin Dupont, ou l’équivalent espagnol de « Juan Perez ».

Quelques jours avant de partir pour Marseille, j’ai cherché sur les plateformes des informations sur Martin Dupont. En écoutant la première chanson proposée, «Inside Out», j’ai eu une sensation que j’ai rarement ressentie, découvrir quelque chose qui allait élargir mes horizons et changer mes propres classiques. Je l’ai vécu à l’âge de 14 ans avec l’album Only theater of pain de Christian Death. La découverte de groupes comme Joy Division, Kraftwerk, Corpus Deliciti, The Misfits, Front 242 et Klaus Nomi, entre autres, ont marqué mon identité en construisant ma liste d’albums classiques ou clés de mon répertoire personnel au fil des années qui est devenue un cercle fermé, ou du moins, c’est ce que je pensais.

 

Je n’ai pas hésité à contacter le groupe marseillais et le soir même Alain Seghir, leader du groupe, m’a appelé pour organiser une interview. Les lignes qui suivent sont le produit de conversations avec Alain, Brigitte, Beverly, ses fans et les impressions des deux concerts auxquels j’ai pu assister.

Martin Dupont n’est pas un nom que presque tout le monde connaît, comme peut l’être Depeche Mode. Pourtant, il a silencieusement fait son chemin de bouche à oreille, dès son apparition au début des années quatre-vingt jusqu’à sa disparition en 1987 avec des albums phares tels que «Just because» (1984) et «Hot paradox» (1987).

 

La composition de ce groupe a une histoire atypique. C’est l’’histoire de deux amoureux, Alain Seghir et Catherine Loy, qui s’associent à une jeune punk, Brigitte Balian pour créer un groupe de musique électronique. Plus tard, une jeune anglaise étudiant le français à Marseille, Beverley Jane Crew, rejoint le groupe en ajoutant un élément sonore qui les démarquera, avec sa clarinette, des autres groupes de l’époque. Catherine quitte le groupe qui devient un trio immortalisé par une série de photographies en noir et blanc.

 

Alain Seghir, chanteur et cerveau derrière leur musique, a, comme son groupe, une histoire bien particulière. Loin des drogues, des égos et de l’autodestruction qui pénètrent et font couler même les meilleurs musiciens, la  fin de Martin Dupont fut le début d’une carrière de chirurgien pour Seghir, qui a déménagé en Normandie, en faisant une longue pause à sa prometteuse carrière musicale. Cependant, le culte de son œuvre s’est bâti par la recherche incessante des curieux qui cherchaient à se nourrir de différents sons sur les plateformes. Un autre élément fondamental, fut la réédition de ses disques par le label new-yorkais Minimal Wave, dirigé par Veronica Vascika.

 

Et le retour de Martin Dupont est prolifique, un nouvel album, Kintsugi, début 2023, en collaboration avec les labels indépendants Minimal Wave, Meidosem et Infrastition qui non seulement réunit à nouveau le trio originel, mais intègre également la créativité de 3 nouveaux musiciens : Ollivier Leroy et les anciens membres de Rise and Fall of a Decade, Thierry Sintoni et Sandy Casado. Des titres comme « Love On my Side » ou « He Saw The Light » sont chargés à la fois de passé et de futur, montrant que ce groupe n’a pas pris une ride et que loin d’accumuler les détracteurs, il a gagné des adeptes.  La preuve en a été donnée avec les premiers concerts à Marseille et Paris.

 

A Marseille, la dédicace a donné la tonalité du concert. Des fans venus d’Allemagne, de Belgique, d’Angleterre, des États-Unis et d’autres régions de France se sont retrouvés à l’Espace Julien, la salle où, 30 ans auparavant, jour pour jour, Martin Dupont avait donné son dernier concert. Ainsi, à ce concert, arrivent peu à peu leurs fans de la première heure, ceux qui avaient rêvé du retour sur scène de ce groupe qui à son heure de gloire avait quitté la scène avec un élan de mystère. Et plus surprenant encore, le concert s’est transformé en un cortège de musiciens, promoteurs, journalistes et DJs venus rendre hommage à ce groupe mythique que certains ont découvert, comme moi, par hasard.

Mais la reconnaissance de l’importance de Martin Dupont n’est pas le produit d’une nostalgie exacerbée. Le concert parisien, à l’occasion du sixième anniversaire de la Tech Noire, les a mis à l’épreuve devant un public très jeune, qui a non seulement comblé la Gare des Mines dans la périphérie parisienne, mais s’est aussi donné corps et âme à leur deuxième concert. C’est maintenant le tour de l’Espagne, avec trois dates à Barcelone, Madrid et Valence. Suivront ensuite la Belgique, le Canada et les États-Unis, où ils sont devenus des légendes.

L’histoire de Martin Dupont continue de s’écrire. Son héritage se redessine parmi les premiers chaînons de la Cold Wave, de la scène underground et au-delà. Son spectre continue de s’élargir sans prétentions, sans attentes et avec une charge créative qui nous inspire et nous attire dans son univers musical.

 

Beatriz Rosas,

Bateau Fantôme

París 23/02/2023